La requête du Peuple Tatare de Crimée au Gouvernement de la République Française Request from the Tartar people of Crimea to the Goverment of the French Republic

Transcription

<<l.47>>

DÉLÉGATION DU PARLEMENT TATARE DE CRIMEÉ

N 520

Paris, le 7 mars 1920

1920

LA REQUETE DU PEUPLE TATARE DE CRIMEE AU GOUVERNMENT DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE

LA CRIMEE.-  La crimée est une petite presqu’île de 25 mille kilomètres carrés, située sur la côte nord de la Mer Noire et reliée aux steppes méridionales de l’Europe orientale par le l’étroit isthme de Pérékop. Possédant beaucoup de beaux ports naturels et de baies. La Crimée est vraiment le point dominant de la Mer Noire. Par son beau climat méridional, ses jardins fleuris, sa belle végétation et en général par ses richesses naturelles, la Crimée se distingue vivement du continent voisin.

La Crimée ne ressemble pas non plus au continent par son histoire. Par suite de sa situation sur la route des migrations des peuples, la péninsule a servi de refuge à bien des peuples et fut le berceau de beaucoup d’évènements historiques, c’est pourquoi elle fut en relations avec les civilisations de diverses époques et de divers peuples, surtout sur l’entremise des négociants vénitiens  et génois  qu’elle a été longtemps en étroite relation avec le midi de l’Europe.

LES TATARES DE CRIMEE.-  Quoique l’histoire ne puisse fixer exactement la date de l’établissement des Tatares en Crimée, le distinguée orientaliste, le professeur Vambery assure qu’au VIIe et au VIIIe siècle

<<l.48>>

-2-

de l’ère chrétienne, la Crimée était déjà entre les mains de Tatares qui y étaient établis fermêment. Mais au XIIIe siècle, à l’époque de la prospérité de l’Etat tatare  de la Horde d ‘Or, les Tatares de Crimée jouissaient d’une grande influence, ils étaient fameux dans toutes l’Asie et en Europe. Enfin en 1450-1460 de l’ère chrétienne la Crimée se débarrassa complètement de la domination de la Horde d’Or et forma le Khanat indépendant de Crimée, sous la dynastie des Ghireie, descendants de Djenghis Khan. Cette dynastie régna en Crimée jusqu’en 1783, année ou la Crimée fut traitreusement envahie par les armées de l’impératrice Catherine II.

LA RECONNAISSANCE DE L’INDEPENDANCE DE LA CRIMEE EN 1774. –

Il faut remarquer qu’en 1774 la Russie et la Turquie par le Traité de Koutchoun-Kaïnardji s’étaient engagés à respecter l’indépendance de la Crimée, qui était alors complètement indépendante (réf 3 du traité) Catherine viola son sermon, envoya son favori Potemkin (prononcez Patiomkine) qui par dessus les cadavres de 30.000 Tatares et au moyen de toutes espèces d’intrigues et de tromperies passa l ‘isthme de Perekop.

L’ANNEXION DE LA CRIMEE A LA RUSSIE- Après cela un manifeste de Catherine II proclama l’annexion de la Crimée a la Russie.

LA CULTURE ET LES QUALITES TATARES.- Les voyageurs et les historiens qui ont étudie spécialement l’histoire de la Crimée parlent avec enthousiasme de la  haute culture intellectuelle et de la belle indépendance des Tatares de Crimée.

Le voyageur Reuilly, par exemple, a écrit : ‘’Il règne chez les Tatares de Crimée une bonne  foi, un désintéressement qui feraient honneur aux hommes les plus civilises‘’ Le fameux géographe Élysée

<<l.49>>

-3-

Reclys dit : ‘’Tous les voisins des Tatares, les Roumains, les arméniens, les juifs, les allemands etc. unaniment disent des Tatares que se sont les hommes les plus honnêtes les meilleurs, les plus sobres, laborieux, propre, justes, profondément respectueux des droits des autres et des lois de leur pays’’ (1).

Les Tatares n’ont pas perdu ces qualités, même après 150 ans de servitude, ce qui est prouvée par les jugements des descripteurs contemporains de la Crimée. Les statistiques officielles de la criminalité en Russie montrent que la Crimée se distinguent par le plus petit nombre de délits.

Les monuments historiques du Khanat de Crimée, comme le palais des Khans à Bakhtchisarai, La fontaine de Bakhtchisarai, les monuments de Kanassou-Bazar, de Stari Krim et d’autres villes servent encore actuellement a prouvé cette civilisation.  Élysée Reclues dans sa Géographie Universelle dit : ‘’La période des Khanats de Ghireys fut l’époque la plus brillante  et la plus heureuse de la Crimée.

TOLERANCE DES TATARES.-  ‘’Grâce au fait que les Khans laissaient à leurs sujets une complète liberté à cette époque, de nombreux voyageurs visitaient la Crimée pour y faire du commerce et très souvent ils y restaient  et devenaient sujets des Ghyreys. Dans ce temps en Crimée florissaient dans le sens le plus étendu de ce mot l’agriculture et le commerce ‘’.  Le gouvernement du Khan et le peuple tatare se distinguaient par un parfait respects des droits des minorités. De petites nationalités, comme les Karaïtes, Les Krimtchate, les Grecs et les Juifs, malgré leur petit nombre (quelques-uns de

(1) traduit d’après la traduction russe.

<<l.50>>

-4-

ces peuples, comme les Karaïtes, par exemple, ne comptaient que 10 a 15 mille hommes), ces peuples qui avaient vécu pendant tant de siècles parmi les Tatares de Crimée, ont conservé jusqu'à présent leur religion, leur particularités nationales et prouvent d’une manière éclatante la tolérance et l’amour de la liberté du peuple tatare. Ils n’ont jamais eu de politique assimilatrice, jusqu'à présent ces petits peuples vivent sur un pied d ‘amitié avec les Tatares, en conservant dans toutes leur pureté leur religion, leur langue et leur mœurs.

SOUFFRANCE DES TATARES DU REGIME RUSSES. Mais après le 10 avril 1783, c’est à dire après l’invasion de la péninsule par les soldats russes, commença le ‘’lourd chemin de la croix’’ des Tatares de Crimée. Non seulement ils perdirent leur indépendance politique ; mais devinrent de vrais esclaves, leurs terres, leurs biens leur furent enlevés par le gouvernement russe, il ne leur resta rien  de la libre civilisation dont ils avaient joui auparavant; on les chassa en masse des milieux fertiles et admirablement cultivés et durent se réfugier dans les montagnes et dans  les steppes arides. Le résultat de ces persécutions et des restrictions fut que la population dut en masse émigrer dans les pays voisins, en Roumanie, en Bulgarie, et en Anatolie. Environ 600 villages tatares restèrent absolument déserts; le gouvernement russe y établit à la place des vrais propriétaires, des paysans  russes et des colons allemands. Le gouvernement a suivi sans la déguiser, une politique de colonisation et de russification, et c’est pourquoi il cherchait par tous les moyens à obliger les Tatares à

<<l.51>>

-5-

émigrer, et pour ceux qui s’obstinaient à rester dans leur patrie, il supprimait sans merci tout essai de conserver leur ancienne culture intellectuelle et leur nationalité.

LA MAJORITE ABSOLUE DES TATARES.- Mais malgré cette oppression et cette servitude d’un siècle et demi, nonobstant les émigrations forcées en masses, les Tatares par des efforts, une énergie, une opiniâtreté incroyable, ont conservé leur vie nationale et forment une immense majorité. La Grande Encyclopédie russe dit que le 88%, la Grande Encyclopédie Française dit que le 90% de toute la population de la péninsule, le reste est formé de 23 petites nationalités, c ‘est pourquoi dans toutes les élections en Crimée les Tatares obtiennent une énorme majorité dans quelques villes.

INSTRUCTION DES TATARES.-  Quant à l’instruction, les Tatares occupent un rang assez élevé, il y a 80% de lettrés, il y a aussi un nombre assez considérable de Tatares qui ont une instruction moyenne et supérieure, mais ils n ‘ont pas pu l’obtenir que par une lutte incessante contre les obstacles des prohibitions opposés par le gouvernement russe. Ces gens ont été instruits exclusivement aux frais de la population, sans un subside quelconque du gouvernement qui, par contre, dépensait des sommes énormes pour l ‘instruction des colons russes en Crimée.

MOUVEMENT NATIONAL DES TATARES.- La lutte ardente et acharnée, lente et systématique des Tartares de Crimée pour la Conservation de leur vie nationale et de leur culture intellectuelle n’a jamais cessé. La fin du XVIIIe siècle et tout le XIXe se sont passés pour les Tatares de Crimée en une lutte contre diverses formes de russification. Mais à partir du commencement du XIXe siècle on voit paraître chez les Tatares de Crimée un mouvement plus conscient,

<<l.52>>

-6-

plus déterminée, qui veut se délivrer définitivement du joug russe. Lors de la première révolution russe, les Tatares pour la première fois après 130 ans d’esclavage sous les Grands Ducs de Russie arborèrent comme programme la  ‘’libération de la tutelle russe’’.

LA REVOLUTION RUSSE ET LES TATARES.- En 1917, des les premiers jours de la révolution russe, les Tatares de Crimée fondèrent un Comité Central et convoquèrent une assemblée Constituante (Couroulaï). A cette époque commençaient en Russie l’anarchie et la guerre civile.  L’assemblée constituante de la Crimée pour protéger la Crimée de la contagion du bolchevisme, se hâta de proclamer (le 18 décembre 1917) la Crimée indépendante et rédigea une constitution, garantissant les droits de toutes les minorités habitant la péninsule.

LA GUERRE AVEC LES BOLCHEVICKS.- Mais la petite presqu’ile, avec sa population d’un million qui aurait pu défendre son indépendance dans des temps plus paisibles, pendant la guerre mondiale et l’anarchie en Russie, ne peut repousser les attaques de ses voisins turbulents et en janvier 1918 l’armée rouge bolcheviste après avoir vaincu la petite armée Tatare à Alma, Théodorine, à Ixalta, dispersa la République de Criméenne, commit des cruautés inouïes, des pillages et des meurtres sans nombre. Entr’autres fut fusillé a Sébastopol le président de la République Tchlapijigan et son cadavre fut jeté a la mer.

OCCUPATION DE LA CRIMEE PAR LES ALLEMENTS, DENIKINE ET WRANGEL.-  Après quelques mois de domination des bolcheviste, la Crimée fut occupée par les Allemands qui prétendaient reconnaitre le gouvernement tatare

<<l.53>>

-7-

local, mais toute l’autorité était entre les mains du corps d’occupation.  Les autorités allemandes refusèrent au gouvernement l’autorisation de lever des bataillons militaires nationaux, aussi au moment de la retraite des Allemands, le gouvernement n’eut pas assez de forces pour retenir la Crimée entre ses mains. Le général Denikine, profitant de cette situation, occupa la Crimée et la déclara de son territoire. Les bolcheviks enlevèrent de nouveau la Crimée à Denikine, puis le général Wrangel la reprit aux bolchevicks, qui finirent par en chasser Wrangel.

LES ENVAHISSEURS ET LES TATARES.- Ainsi en trois ans, La Crimée fut occupée six fois par des forces belliqueuses et chacune de ces occupations était accompagnée d’assassinats  en masse, de réquisitions, de pillages et de violences comises sur les citoyens paisibles. Les vrais habitants de la péninsule, les tatares, n’avaient de sympathie pour aucun de ces envahisseurs et leur résistaient toujours sous une forme ou une autre. D’après des nouvelles reçues récemment par moi, les habitants de la Crimée ne s ‘accordent pas du tout avec les bolcheviks et de fréquents soulèvements se produisent dans diverses parties de la péninsule. Le 8-10 janvier 1921 à Bagtchi-Sáraï éclata une révôlte tatare et les commissaires du Soviet local furent massacre par eux. Vers le 20 février, trois éminents députes du Parlement Tatare furent massacres par les bolcheviks (Karabiberoff, Mourtazacf, Ceif-Mouslim.)

LES RICHESSES DE LA CRIMEE.- Comme la population de la Crimée se livre surtout à l ‘agriculture, à  l’horticulture et à l’élevage des bestiaux sur leur propres

terres, aussi les Tatares de Crimée, sans parler

<<l.54>>

-8-

de leur idéal d ‘indépendance, ne pourront jamais se réconcilier à l’organisation communiste de Moscou.  

Quant à l’économie rurale, La Crimée possède les conditions nécessaires pour son indépendance. Comme une presqu’ile, entourée de presque 4 côtés de la mer, La Crimée possède une source inépuisable de pêcherie. Dans la péninsule même, Il y a près de 400 lacs salés ; d’ou l’on retire chaque année des centaines de millions de

Pou[n]ds de sel. On y trouve aussi beaucoup de resources de naphte, et avant la révolution de grandes compagnies ont commencé à les exploiter. On y trouve aussi diverses mines, des mines de fer par exemple. Mais l’industrie pétrolière et minière est encore peu développée, mais elle a devant elle un avenir brillant.

Jusqu’à ces derniers temps la Crimée gagnait sa vie surtout par ses immenses quantités de tabac, par ses pêcheries. Elle exportait d’énormes quantités de tabac et de possons, de fruits. Elle produisait, par exemple, chaque année un demi-million de pou[n]ds de tabac, qui n’était nullement inférieur  au meilleur tabac turc. La portion méridionale de la Crimée est occupée par de magnifiques vergers et par d’immenses vignobles. On en exportait des millions de pou[n]ds de fruits par année. Au Nord, la culture du blé et l’élevage des bestiaux sont très répandus, de sorte que la Crimée fournit assez de blé et de viande de boucherie pour sa consommation même elle pourra en exporter.

A présent les Tatares de Crimée n’ont qu’un idéal, se débarrasser pour toujours du joug russe. Ils désirent : 1- une complète indépendance ; 2-être admis dans la Société des Nations, enfin 3- être par la Société des Nations placée sous le protectorat d’une des grandes puissances occidentales.

<l.55>>

-9-

Les représentants de la Crimée ont souvent exposé leurs revendications politiques aux gouvernements de l’Entente et au Conseil de la Société des Nations.

Par le présent mémoire, je prends la liberté, comme représentant légitime de mon peuple, agissant d’après un mandat qui m’a été accorde par le Président de Crimée en date du 10 février 1919, de m’adresser par votre entremise, Monsieur le Ministre, au gouvernement de la République Française pour lui demander de nous soutenir et de nous aider à réaliser les buts politiques de mon peuple.

La Crimée indépendante, avec le port meutre de Sébastopol, non seulement, d’après ma ferme opinion ne contrecarrerait pas les intérêts de la France, mais elle serait, comme aux temps historiques, le principal chemin, unissant l’occident aux peuples du sud-est de l’Europe, et enfin elle serait un témoin vivant de la justice et du respect des droits des petites nationalités asservies. Au point de vue de l’équilibre et de la paix de l’Europe, une forteresse aussi puissante que Sébastopol entre les mains de la petite république de Crimée, plutôt qu’entre celle d’une Russie impérialiste, serait un sur garant de la parfaite neutralité de la Mer Noire.

J’ai l’honneur d’adresser au gouvernement de la République Française au nom de tous les Tatares de Crimée, la proposition de prendre sous sa protection les intérêts de l la Crimée et de l’aider a secouer le joug bolcheviste, faire cesser les massacre et les atrocité inouïes commis sur la population paisible et innocente

<<l.56>>

-10-

de la péninsule (1).

En adressant ce présent mémoire au gouvernement Français, comme au gouvernement humanitaire et toujours juste du grand peuple Français, j’ai la  persuasion que la prière de la requête du petit peuple tatare asservi et périssant par les atrocités sauvages des Bolcheviks russes, trouveront un accueil favorable auprès des représentants de la noble France.

Président et Délègue du Parlement Tatare de Crimée

(1)  Je me permets d’ajouter à cette requête la copie de la lettre que j’ai eu l’honneur d’adresser à M. Le Maréchal Franchet d’Esperey, dans laquelle j’analyse le rôle prépondérant que pourrait jouer  la Crimée émancipée des Bolcheviks pour la délivrance de l’Ukraine, du Kouban.

Translation