Lettre de L'ambassadeur de France à Moscou adressée à Aristide Briand, Ministre des Affaires Etrangères au sujet de l'éxécution M. Ibrahimov Letter from the French Embassador of Moscow to Aristide Briand, Foreigh Affairs Minister about the Execution of M. Ibrahimov
Transcription
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Moscou le 1er juin 1928
Ambassade de la République Française
près Union des Républiques Socialistes Soviétiques
Direction des Affaires politiques et commerciales
L’Ambassadeur de la République Française à Moscou à son Excellence Monsieur Aristide Briand Ministre des Affaires Etrangères
N-423
Europe
A.S. de l'exécution de M. Ibrahinov.
Dans mes revues de presse numéro 107 du 9 mai et numéro 108 du 10 mai, j'ai mentionné la condamnation et l'exécution de Monsieur Ibrahimović, ancien président du Comité Central exécutif de la République autonome de Crimée. J'ai recueilli, sur les motifs de ces événements, les indications suivantes qui peuvent être exactes et qui peuvent, en tout cas, donner lieu à d’intéressantes verifications. Les principaux chefs d’accusation contre Monsieur Ibrahim n’étaient pas constitués par les actes de concussions dont on a parlé.
Ce qu’on reproche surtout à l’ancien président de Crimée, c’était d’avoir entretenu naguère une correspondance secrète avec le général Wrangel, et c’était plus encore d’avoir eu des intelligences avec les Turcs. Votre excellence sait en effet que la majorité relative de la population, en Crimée, est formé de Tatars qui, après avoir donné beaucoup de soucis et parfois quelques appuis des grands princes de Moscou pendant
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la domination mongole, asont maintenant attires vers la Turquie de Mustapha Kemal Pacha.
Les tendances anti-russes des tatares de Crimée inquiètent depuis plusieurs années le gouvernement soviétique. J’ai déjà signalé à Votre excellence la précaution que ce gouvernement a essayé de prendre en installant des dcolons juifs en Crimée. C’est la politique classique du Prince Vorontsov-Dachkov au Caucase, avec cette seule difference que le régime soviétique emploi en Crimée des juifs contre les Tatars, tandis qu’au Caucase le régime imperial opposait aux Tatars les Arméniens. L’execution de M. Ibrahimov serait, d’après les renseignements que j’ai recueilli un épisode de cette lutte classique entre le pouvoir colonial russe et ses sujets musulmans.
Il paraît que Monsieur Ibrahim évait un frère, fonctionnaire soviétique comme lui, qui résidait à Constantinople comme employé de la Représentation commerciale de l'U.R.S.S. le gouvernement de Moscou a invité cet autre Ibrahim à rentrer en U.R.S.S. mais il a préféré prendre
l’Express-Orient et il se trouverait actuellement en Suisse. Il avait apparemment obtenu de la complaisance des autorités turques le visa de sortie qui lui était nécessaire pour prendre ce chemin et non celui de Moscou.
Si le fait est exact, il semble indiquer que le Gouvernement turc ne desire pas décourager les revendications nationales des tartars de Crimée, de même que le gouvernement soviétique ne découragerait probablement pas les aspirations nationales des Arméniens de Turquie.
Il est assez remarquable que l’opposition séculaire de la Russie et de la Turquie persiste ainsi malgré les changements qui se sont produits dans les institutions des deux pays./.
Signature…